Le chanteur de La K-Bine fêtera la sortie de Chroniques de la guerre civile, son nouvel album le 12 mars au local du 33 rue des Vignoles. À ne pas rater !
Qu’est-ce qui t’a donné envie de faire de la musique ? Ton histoire personnelle ? Ton environnement familial et social ?
C’est le côté engagé et revendicatif du rap qui m’a donné envie
d’écrire des textes et de les rapper. Je me suis mangé une claque en
découvrant cette musique à l’âge de 13 ans. Elle me ressemblait et
décrivait bien l’environnement dans lequel je vivais. Je pouvais mêler
des revendications personnelles du fait de mon statut de fils de réfugié
politique et des histoires propres à mon quotidien dans un quartier
populaire du 93, en l’occurrence les 3 000 à Aulnay-sous-Bois. Je suis
un fils d’employés plus que modestes et précaires ; nous étions – je
pense – dans la catégorie des gens « pauvres » de la France et comme
disait ma mère, cela ne nous a jamais empêchés de rester dignes et
lucides. Nous avions très peu de choses, mais paradoxalement beaucoup de
livres. Nous étions une famille d’immigrés du 93 avec des parents qui
militaient jour et nuit.
Être un rappeur conscient, ça signifie quoi ?
Le terme « conscient » est un peu galvaudé, mais en gros, être un
rappeur engagé, ça veut dire écrire des textes revendicatifs et les
assumer au quotidien. Au boulot, en concert, en manif… Ça veut dire être
le plus cohérent possible entre les morceaux que tu chantes et la vie
que tu choisis de mener, même au niveau intime. C’est admettre comme une
certitude que tout est politique ; même des choses comme l’amour et les
rapports humains les plus ordinaires. Le premier devoir d’un rappeur
militant, c’est d’être un militant. Le reste est secondaire…
Tu es un enfant du 93, tu parles même d’indépendance de la Seine-Saint-Denis, pourquoi ? Qu’est-ce qui te lie à ce département ?
Réclamer l’indépendance de la Seine-Saint-Denis, c’est utiliser une
revendication chargée d’utopie pour dénoncer les maux dont souffre notre
département. Pour ceux d’en haut, c’est le pire ; pour nous, c’est le
plus populaire, celui où vivent des gens qui ont légitimement le droit
de se révolter et remettre en cause le système. C’est celui où se
concentre la population qui est la plus touchée par les attaques menées
en ce moment par Sarkozy. Je lisais l’autre jour que c’est en
Seine-Saint-Denis que les suppressions de postes dans l’éducation vont
être les plus élevées et pourtant, c’est là qu’il y a le plus grand
besoin de moyens… Au niveau sécuritaire c’est pareil, la police y mène
une guerre larvée contre les jeunes des quartiers populaires, ce n’est
pas un hasard si ce sont les cités du 93 qui se révoltent souvent en
grand nombre.
Tu as déjà monté des projets avec une classe de LP à Noisy-le-Sec. Tu peux nous en dire davantage ?
En fait, avec Akye et Géraldine, nous avons mené un projet d’atelier
d’écriture avec des mômes scolarisés dans un lycée pro, en France depuis
peu de temps. Ils ont des difficultés à s’exprimer en français. Nous
avons écrit et enregistré un morceau de rap tous ensemble. Il y avait
six mômes, et le morceau est en six langues (dtamoul, arabe, bambara,
roumain, français…). C’était une belle expérience qui, dans mon cas, me
touche particulièrement car souvent un certain nombre d’enfants sont
arrivés en France pour des raisons politiques et ont dû fuir, comme
certains Afghans ou Tchétchènes, du coup ça me renvoie à ma propre
histoire (Skalpel est fils de Tupamaros uruguayens, Ndlr).
Ce journal est diffusé dans l’ensemble des établissements scolaires du 93. Qu’aimerais-tu dire aux enseignants qui te liront ?
Alors, je ne sais pas si je dois être méchant ou pas… Déjà, faites
grève ! (Ça, c’est pour tous les profs…) Et faites preuve d’humilité
dans les rapports que vous entretenez avec les autres personnes qui ont
des emplois précaires et que vous côtoyez dans vos établissements
(surveillants, Atos, etc.). Ensuite, interrogez-vous sur la fonction
sociale de votre travail, surtout pour les années à venir, en gros et je
suis désolé si certains se sentent choqués, posez-vous la question de
savoir ce que vous allez faire pour que votre fonction ne se convertisse
pas en celle de simples matons chargés de surveiller ceux qui sont
destinés, par leur statut social, aux boulots les plus durs… Bref, plus
de pédagogie et moins de revendications sécuritaires… même dans le 9.3 !
Propos recueillis par N. N.
Première publication, Le Chat du 9.3, n° 18, janvier-février 2011.